Tout minot je regardais là-haut.

Il y’a 4 ou 5 ans de ça, j’ai vu la vidéo de Gaël Petillot intitulée « j’irai manger du chocolat en suisse ».

Dans son périple de 4 jours, il vole le Taillefer et passe au-dessus de l’Alpe du Grand Serre. Mon village.

Ce jour-là, j’ai tout bonnement halluciné qu’un gars puisse relier le sud à mes montagnes d’enfance, par les airs, avec son sac à dos. Et ce jour-là, j’ai acheté un parapente.

Tout commence bien classiquement un dimanche soir.

Dernier jour des vacances, reprise le lendemain. Et bien sûr pas la peine de nier la réalité : demain c’est LA journée.

Tant pis pour le reste. Le monde attendra 24h de plus.

Montée au pic avec Seb Guiol et Martin (jeune pilote de planet’air). Et au sommet nous ne sommes que 3. Etonnant me dis-je. Mais peut-être pas tant que çà, car la journée est surtout fumante un peu plus à l’Est de notre région. En montant au sommet, on voit clairement les Préalpes vers Saint-André déjà s’allumer avec des plaf stratosphériques. Mais dans notre couloir, rien. Même sur la sainte baume, généralement un peu plus précoce, que dalle.

Les quelques barbules qui s’allument s’assèchent 1 minute après. Pas bon signe.

On convient que ça va être tardif. Sur ces entrefaites, un pilote nouvel arrivant dans la région et possesseur d’une 60aine d’heures de vol souhaite réaliser son premier cross ce jour-là et nous demande notre avis pour décoller du Pic.

Nous lui précisons que c’est un super site pour débuter, mais que la mise en l’air a des chances d’être un peu rugueuse.

Il décide finalement de renoncer.

Bien lui en a pris : je me mets en l’air suivi de près par Martin et j’allume du +8.5 m/s pendant bien 15 secondes. Mon vario qui intègre sur 30 secondes me donnera 7.2m/s.

Bref, nous voilà à 2600.

Seb qui a laissé son vario en plein cagnard nous annonce par radio qu’il s’est mis en sécurité et qu’il ne s’allume plus…

Il est 13h40. Je décide de tracer.

Commence alors une lente, mais certaines dégringolades direction la Durance… Deux trois pétards par-ci par-là, mais rien de construit. Et surtout on sent bien qu’on est dans une masse d’air bien plus stable qu’à l’Est. Preuve en est, à l’approche de Mirabeau, on prend 20 d’Ouest alors que tout est SSE en tendance et depuis le début. Notre grosse masse stable va remplacer celle qui s’élève vers Dignes…

Martin est à 100m derrière et sur ma gauche. Nous sommes à 500m sol. Il fait le choix de traverser. M’étant déjà avoir une fois, je me mets face au vent à la fin du plateau et commence à prier pour qu’une bulle passe. Ce ne sera pas une bulle, mais une micro bullette qui me maintient dans du 0.5, mais que j’accroche avec mes deux mains et mes deux pieds….

Martin pose. Je rejoins le flux de sud puis le flux collecteur et me hisse à 2800. Ouf, première sortie des ronces.

Le ciel s’allume doucement sur Manosque. Je saute de nuages en nuage autour de 2200. Mais je sens bien que ça ne va pas fort. Tout est anémique et surtout il y a un gros trou de bleu sur les 10 bornes avant Lure. Je sens que le prochain All-in est proche. J’enrage, car derrière Lure ça a vraiment l’air fumant.

Mais bon, il est 15h30 quand je passe Saint-Michel l’observatoire. A quoi bon. Vu l’heure, si je fais Gap ça aura déjà été un beau voyage.

Allez, on se ressaisit et l’on va s’occuper de la mère Lure.

Après m’être fait avoir un certain nombre de fois par cette face sud qui n’a de face que le nom, je sais qu’il faut anticiper la montée bien avant la crête.

Rebelote : championnat du monde d’attrapage de bullette. Je mise tout sur le village d’Ongles qui est en limite d’arête et qui a tout une grande zone déboisée bien bien sèche et claire. Bingo. Ça prend un peu de temps, mais je quitte Lure à 3200 (2000m de gain…) !

Première récompense : une rue fantastique. Mais dilemme ; elle est au milieu de la plaine, rien sur les antennes de Beaumont, rien sur Ceuze… J’oublie les routes classiques et décide de suivre les nuages. Ça tient bien autour de 3000m, mais comme j’y crois encore un peu, je pousse le 2eme barreau pour essayer de rattraper le temps perdu et ne cherche pas à monter. Mais à voler trop vite, on consomme tout le gras…

Bref, me voilà rapidos au début de la chaîne de l’Obiou. Il est 17h30, le soleil déjà bien Ouest. Mais j’ai un ESE bien marqué… Va pas falloir se tromper au placement. Je reste donc verticale de l’arrête pour bénéficier du dynamique + des déclenchements sous le vent. Un petit cocktail bien sport, mais qui me satellise au nuage vers 3600.

Enfin quand je dis au nuage, je veux dire facilement 300m en dessous, car il est tellement large que je ne peux pas voler sa bordure, et qu’il est hors de question de m’y faire aspirer compte tenu (en plus de la réglementation… 😊) des 15 planeurs avec qui j’enroule depuis 1h et qui passent à 50m de moi. Donc je pousse à bloc : 75kmh – 3700 et ça monte à +2 à 80% du barreau…

J’arrive sur l’Obiou. 18h. 3700m.

Guillaume Chatain, sur un de ses vols ratés, avait posé à Lumbin et avait tourné le Chatel à la même heure. Bon sang de bonsoir… Ça peut jouer.

Je commence à entrer en euphorie. On se calme. Un petit pipi en transition au-dessus du lac du Sautet et je me remets les idées en place.

Ça tombe bien, nouveau choix tactique à faire : la route « classique » (Coiro puis Armet et Taillefer) est complètement à l’ombre d’un gros castellanus qui était sur le Vercors (ou la drome ; dur à dire), mais qui se désagrège. Plus à l’ouest, le piquet de Nantes et le grand serre sont bien au soleil, mais pas un cum au-dessus.

J’opte pour le second choix. Un peu pour découvrir la route et surtout en me disant que si çà ne le fait pas, je pose en glide à Vizille en toute sécu.

Mais alors que je survole l’arrête, une jolie bulle bien large, toute douce à +2 ms fait baisser l’horizon et j’aperçois les deux petits bras de Grenoble qui s’écartent et se tendent vers moi.

Alors que l’émotion contemplative me gagne, je sursaute quand entre dans mon champ de vision un volatile énorme. Un gypaète barbu qui vient profiter de la douceur du thermique avec moi. Incroyable. Tellement rare de les croiser ceux-là.

Je continue d’avancer, je passe au-dessus des pistes de ski de mon enfance.

Petit appel téléphonique à ma frangine qui ne me voyant pas tout de suite ne me croit pas.

Bras haut. Même plus de barreau. C’est joué. Je vais poser à Grenoble. Je n’y crois pas.

La restit’ + la cuvette grenobloise font de l’air un doux mélange montant dans du 0.5 généralisé. J’ai l’impression que ça pourrait durer des heures.

Sur le whatsapp de la bande, je reçois un message qui me dit : allez plus que 15 bornes pour les 200…

Je me rends compte que je n’ai même pas les kms parcourus sur ma tablette… Alors j’ajoute le widget rapidos (merci xctrack).

Suis à 1200, 200m sol de Revel. Ça ne va pas le faire. Merde.

Allez, je remets les crampons et j’attends la main du ciel. Elle arrive avant même que je la réclame : une nuée de martinets vient matérialiser une dernière ascendance. Je m’y accroche et remonte jusqu’à Chamrousse.

S’en suis après 45min de rase sapins pour pousser jusqu’à Froges.

19h45. Posé. Je lève, seul comme un con, les bras au ciel.

Pas pour les 200 ni pour Grenoble.

Juste parce que je viens de me rappeler les heures passées minot où je regardais là-haut. Et qu’aujourd’hui, là-haut, c’était moi.

Yann Lepage

Ma trace

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