Cela fait 3 ans que j’ai commencé le cross. Comme tout crosseur, j’ai rencontré des aérologies capricieuses, parfois teigneuses, avec bien sûr leur lot d’incidents de vol, fort heureusement toujours bien gérés. Jusqu’à présent. Malgré 7 ou 8 SIV derrière moi, il y a un niveau de compréhension de la voile que seule l’acro pourra me donner.
Alors j’ai décidé de m’y mettre.
D’une part pour comprendre et me familiariser avec le comportement d’une voile qu’on chahute dans toutes les configurations possibles, et qu’on va souvent retrouver sous ses pieds. D’autre part pour banaliser l’usage du secours, car en acro, ça fait littéralement partie de la discipline.
Histoire de m’y coller vraiment, j’ai choisi de me former auprès de Théo de Blic, quadruple champion du monde. Il a cofondé Rise Paragliding, qui accueille autant ceux qui veulent faire des SIV que de l’acro. Ça se passe deux fois par an à l’automne et au printemps dans un des lieux mythiques pour la discipline : Ölüdeniz, dans le sud de la Turquie.
J’y ai passé trois semaines, du 26 avril au 18 mai 2024. Les semaines 1 et 3, j’ai suivi l’entraînement avec Théo. La semaine 2, je l’ai gardée pour intégrer et répéter les choses apprises, et pourquoi pas, aller faire un petit cross dans la région.
Je vais partager ici mon expérience. D’abord celle du lieu – Ölüdeniz – et bien sûr, ma rencontre avec Théo et son équipe.
La ville d’Ölüdeniz
Ölüdeniz fait partie des lieux mythiques de l’acro en parapente. Pourquoi ? Parce que les montagnes se jettent directement dans la mer, ce qui offre un immense bocal pour s’entraîner. Quand on part du déco de 1900m au sommet du Mont Babadag, après une courte transition vers la mer, on se retrouve directement avec 1600-1700m de gaz pour faire ses figures, soit deux fois plus qu’à Annecy. Exceptionnel.
La petite ville d’Ölüdeniz se situe au sud de la Turquie, sur les bords de la Méditerranée. Elle se divise en deux parties : Ölüdeniz, plus à l’intérieur des terres, et Ölüdeniz Plaji qui, comme son nom le laisse supposer, donne sur la plage. On va donc parler ici d’Ölüdeniz Plaji, la petite partie de la ville enclavée qui s’ouvre sur une immense plage et un magnifique lagon tout bleu. Je te laisse voir ça sur Google Maps.
Il faut un peu plus d’une heure pour s’y rendre depuis l’aéroport de Dalaman.
Je vais commencer par le négatif : la ville elle-même. Il s’agit bien sûr de mon opinion personnelle. Ceci dit, pour en avoir discuté avec de nombreux parapentistes, tout le monde partageait la même analyse.
De mon point de vue, Ölüdeniz représente le type de tourisme à fuir : le consumérisme et la pollution qui l’accompagne, la sono à fond partout, la mauvaise bouffe internationale, les pièges à touristes. Chaque restau ou bar essaie de pousser sa sono plus fort que le voisin, on y mange une cuisine internationale chère et de mauvaise qualité. Sur l’artère principale, les commerces te proposent tout ce qu’on peut imaginer de cheap, de plastique, de made in China, et de copies de grandes marques de luxe. Ils ne s’en cachent pas d’ailleurs.
Si tu veux vivre une croisière sur un des bateaux pirates bidon sur la musique de “Pirates des Caraïbes” histoire de t’arracher les oreilles, tu trouveras ton bonheur. Du Disney World en pire.
Le soir déversera encore plus de décibels à vos petites oreilles. Ça doit s’entendre jusqu’en Grèce. La plupart de ces touristes bien dodus viennent d’Angleterre, des USA et de Chine. Le commerce tourne à fond.
Mais il y a un commerce qui tourne encore mieux, tu l’as deviné : le biplace. Sur les décos, ils arrivent par hordes entières, avec leurs passagers un peu scotchés par la hauteur depuis laquelle ils vont devoir bientôt s’élancer. Tu verras souvent de jolies petites chinoises toutes pimpantes, avec leurs petites jupettes et chaussures à talon, prendre conscience qu’il fait froid à 2000m d’altitude. Leur pilote, souvent barbu, tatoué, bourru et aguerri, s’empresse de leur sortir une doudoune. Contraste amusant. Peu importe les vents, les conditions, on décolle, car il faut faire tourner le business et la prochaine tournée n’attendra pas. J’ai vu de très bons biplaceurs (et quelques biplaceuses) gérer avec brio des conditions dantesques, et j’en ai vu d’autres incompétents et dangereux finir par terre avec leur passager ou leur passagère, avec des voiles parfois usées jusqu’à la corde. Il y a régulièrement des accidents graves (j’en ai vu un). Ça semble parfaitement accepté.
Allez, j’en ai assez dit sur le négatif, concentrons-nous maintenant sur ce qui nous intéresse, le parapente.
Le site de vol
Je pourrais t’écrire des pages entières sur la beauté époustouflante des lieux. Mais plutôt qu’un long discours, je te laisse les découvrir en images.
Il s’agit avant tout d’un site pour des vols locaux et l’acro. Sur XContest tu trouveras quelques départs de grands cross, mais peu nombreux, et des petits cross de 20-40km pour survoler les sommets avoisinants.
Il y a plusieurs décos sur le Mont Babadag, respectivement à 1200, 1700, 1800 et 1900m. On y accède soit par la route avec une navette (véhicules particuliers interdits), soit avec le téléphérique. Ce dernier te conduira directement au 1200m, puis un autre au 1700m. Pour aller aux 1800 et 1900m, soit tu continues à pied, soit une des petites navettes t’y emmènera pour une somme modique.
Les décos, sur différentes orientations, bénéficient d’un aménagement hors pair, avec un sol pavé pour déplier et décoller, des toilettes, et même des restaurants durant la saison haute. Un véritable business qui peut prendre des allures d’aéroport international lorsque nos 50-80 biplaceurs débarquent. En 30-45 minutes, ils auront tous décollé (si la météo le permet). Il faut se tailler sa place. Mais ça se passe plutôt bien et ça s’entraide beaucoup.
Il faut savoir qu’à Ölüdeniz, tout se paie et tout coûte cher. Le téléphérique et les infrastructures de parapente appartiennent à une structure privée. Durant mon séjour, le décollage coûtait presque 11€, auquel il faut rajouter 4€ si on emprunte le téléphérique, soit 15€ le vol, peu importe le déco qu’on emprunte.
Il faut également s’enregistrer sur ce site internet, puis générer un QR code avant chaque déco pour acheter son droit de vol. Une fois posé, il faut “fermer” le vol. Le site peut s’avérer très capricieux au début, vérifie que ça marche le veille plutôt que de te retrouver bloqué le jour même devant le guichet.
Chaque jour, les propriétaires des lieux décident de l’ouverture ou de la fermeture du téléphérique et des décos. Souvent, cela échappe à toute rationalité et ça fait enrager la communauté des parapentistes. Ça fait partie du folklore local. Alors on organise des navettes, et finalement on arrive toujours à voler.
Mon expérience avec Théo de Blic
Comme je te l’expliquais au début, la pratique du cross a motivé mon envie de comprendre ma voile au-delà des SIV. On m’avait rabâché dans des précédents SIV qu’il fallait des mois d’entraînement acharné avant de passer des hélicos ou des tumblings, et qu’il ne fallait pas trop jouer avec mon Artik, trop vive, trop exigeante.
L’acro peut quelque part se résumer au fait d’avoir sa voile partout sauf au-dessus de la tête. J’ai acquis une BGD Epic Freestyle, la voile école acro par excellence, réputée pour pardonner beaucoup, beaucoup de choses, ainsi que la légendaire sellette Supair Acro 4.
Mes objectifs :
- découvrir l’acro
- étendre ma compréhension et maîtrise de la voile dans les situations hors domaine de vol
- transférer ces connaissances sur ma voile de cross, une Niviuk Artik R que j’ai également amenée avec moi
- banaliser l’usage du secours, car je n’avais pas de doute que j’allais devoir m’en servir.
Objectifs plus qu’atteints.
Au bout du 2ème jour avec Théo, je passais mes premiers hélicos. Certes encore bien brouillons, mais des hélicos quand même. Et les jours suivants des Mysties, des Tumblings, des sats asymétriques, des mysties to heli, etc, avec bien sûr force de décros, de marches arrière, de wingovers…
Je me considère comme moyennement doué pour ce genre de choses, je fais partie des élèves qui ont besoin de temps et de beaucoup répéter pour que ça rentre. Pas grave, Théo avec une patience infinie a trouvé les ressorts qui me convenaient, les trucs pour que ça passe. J’ai également travaillé des décros, marches arrière et décravatages sous mon Artik R avec mon cocon, ce qui a immédiatement augmenté mes compétences sous cette voile. Une voile qui a finalement montré beaucoup plus de douceur et de tolérance que ce qu’on m’avait dit.
Non seulement j’ai adoré l’immense compétence technique et pédagogique de Théo, mais j’ai apprécié tout le reste de l’équipe. Sympas, drôles, dévoués, toujours prêts à rendre service, en particulier pour te plier un secours classique ou un Rogallo en deux temps trois mouvements.
Au secours !
Par deux fois, j’ai dû tirer le secours. La première fois lors d’un entraînement solo, où j’ai poussé ma petite Epic Freestyle au bout d’elle-même. Ça a fini twisté. A 100m au-dessus de l’eau, j’ai extrait mon Rogallo. Pas de souci, amerrissage en douceur.
Un bateau sécu vient immédiatement te repêcher et te ramener sur la plage. Mais je te l’ai dit, tout se paie. Ce sauvetage coûte 70€. Ensuite quelqu’un vient pour récupérer ton matériel pour le passer à l’eau douce et le laisser sécher, ce qui te coûtera 70 à 80€ suivant que tu as un ou deux secours à rincer. Ça fait donc cher l’extraction du secours, mais franchement, ça ne fait pas cher pour développer sa sécurité en conditions réelles. Si tu fais secours durant ton entraînement avec Rise Paragliding, alors la récupération en bateau fait partie du deal, elle ne te coûtera rien. A toi de décider ensuite si tu veux rincer toi-même ton matériel, ou le confier à ceux qui s’en occupent sur la plage.
Mon deuxième secours, je l’ai tiré la troisième semaine. Première figure ratée, j’ai fini super twisté à 1500m au-dessus de l’eau.
Ces deux extractions du secours font exactement partie des expériences que je venais chercher, à savoir en banaliser l’usage.
J’en profite pour enfiler ma casquette d’animateur sécu : FAIRE SECOURS NE CONSTITUE PAS UN ÉCHEC, mais un acte qu’on doit pleinement intégrer dans sa pratique de vol. De mon point de vue, un vol réussi se résume à deux choses : un déco en sécurité, et un atterro en sécurité. Tout ce qu’il y a entre les deux, un plouf de 2 minutes ou 8 heures en l’air, ça reste du bonus. Un atterro en sécurité peut autant se faire avec son parapente qu’avec un secours, le reste a peu d’importance. De mon point de vue, l’usage du secours en conditions réelles sécurisées devrait faire partie de l’apprentissage de tout parapentiste.
Donc au final, j’ai vécu une expérience absolument exceptionnelle avec Rise Paragliding. Du plaisir, de l’adrénaline, des compétences, de belles rencontres.
Crosser
Pour ceux qui veulent crosser, la région très montagneuse offre de nombreuses options. La deuxième semaine de mon séjour, j’ai connecté avec deux crosseurs du coin, Igor et Alex, deux russes exilés qui ont fui la guerre et le régime de Poutine. Tout simplement adorables. Nous avons pris la route, direction Çameli (prononcer “tchameli”), petite ville estivale en altitude dans laquelle les vacanciers turcs viennent se réfugier durant les grandes chaleurs. Compter 1h30 de voiture depuis Ölüdeniz.
Nous avons crossé deux jours de suite, dans des conditions atomiques et pas idéales. Ça montait très très fort (des boulets à +8m/s au déco), mais ça descendait tout aussi fort. Donc deux petits cross de moins de deux heures et de quelques dizaines de kilomètres, mais très engagés. De quoi découvrir les lieux en tout cas.
Et le budget dans tout ça ?
Bon, il ne faut pas se le cacher, un stage SIV ou acro à Ölüdeniz, ça demande un certain budget. Le voyage en avion ne coûte pas très cher, mais génère son stock de CO2 (d’ordinaire j’évite de prendre l’avion pour le tourisme, mais j’ai fait une exception pour ma sécu parapente). L’hôtel ne coûtait pas très cher non plus, 45€ par nuit. Par contre, les restaus, les décos, et les récups dans l’eau, ça assèche vite le porte-monnaie. Un budget qui ressemble à celui de vacances au ski en France.
A Ölüdeniz, tout se paie en carte bancaire ou via ton mobile. Rien de plus facile. Tu auras rarement besoin de cash.
Quant aux tarifs pratiqués par Rise, ils peuvent sembler élevés à première vue, mais ne nous y trompons pas : 8 vols dans la semaine avec 1500m de dénivelé en moyenne, fais le calcul par rapport aux 800m sur le lac d’Annecy, et tu comprendras vite qu’on s’y retrouve très largement. Mais surtout, tu bénéficieras de l’enseignement d’une équipe hors-pair.
Conclusion
J’ai adoré, j’ai appris, j’ai pu me dépasser, j’ai pu m’amuser. Théo et son équipe ont cette façon d’inviter à aller au-delà de soi, sans pour autant te mettre la pression. Ils connaissent tes limites et ton potentiel bien mieux que toi-même, ce qui constitue précisément la signature des bons enseignants. Il n’y a pas de programme imposé, ton instructeur s’adaptera à ta personnalité et à tes besoins.
J’ai également apprécié l’ambiance internationale. Les élèves venaient des quatre coins du monde : Océanie, Europe, Amériques, Afrique… avec des profils aussi divers que variés. Il ne manquait plus que l’antarctique. Ça parle anglais partout. Même si Théo te guide en français, il vaut mieux maîtriser la langue de Shakespeare pour apprécier ce séjour.
Un grand merci donc à l’équipe de Rise.
Pas de doute, j’y retourne l’an prochain.
Quelques liens
- Rise Paragliding
- Ma chaîne youtube – abonnez-vous !
- La chaîne youtube de Théo de Blic
Bienvenu au club des acrobates JF ! 🙂
C’est top d’avoir poussé l’exéprience jusque là. Bravo.
Merci Guillaume ! Je compte bien continuer en effet 🙂 Au plaisir de voler ensemble.